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Face aux démissions massives dans la tech, les entreprises saisies d’un véritable « Board-Hell »

Board-hell (nom masculin, néologisme) : État de tension et de stress au sein de la direction d'une entreprise, causé par la crainte de démissions massives des collaborateurs en réponse à une décision contestée ou impopulaire.

Ce terme décrit une situation où les dirigeants sont confrontés à une instabilité interne potentielle et à des perturbations dans le fonctionnement de l'entreprise, souvent déclenchées par des décisions qui ne sont pas alignées avec les attentes ou les valeurs des employés.

Vendredi 17 novembre, Open AI (l’entreprise derrière ChatGPT) annonçait à la surprise générale le limogeage de son PDG : Sam Atman. Moins d’une semaine plus tard, le mardi 21 novembre le groupe faisait machine arrière et réintégrait Atman dans son ancien poste. Que s’est -il passé entre ces deux dates pour expliquer cet incroyable retournement de situation ? Même si les hypothèses sont nombreuses à ce stade, un chiffre retient particulièrement l’attention : 700. C’est le nombre de salariés qui ont menacés simultanément via une lettre ouverte de démissionner si leur boss ne revenait pas. 700 : cela représente 90% des effectifs du groupe.

Une vague de démissions touchant une entreprise de la Tech : le cas n’est pas inédit. Plusieurs entreprises ont dû y faire face pour des raisons variées : allégations d’harcèlement sexuel, interdictions de discussions sociopolitiques sur les lieux de travail, culture du travail toxique … A chaque fois, c’est la mobilisation des salariés qui a, au mieux, conduit à des changements significatifs dans la direction et les politiques de l'entreprise ou, au pire, mené au départ d’éléments clés. Plus récemment encore, c’est le rachat de X (ex-Twitter) par le fantasque Elon Musk qui a conduit à de multiples démissions de salariés peu à l’aise avec la nouvelle direction donnée à l’entreprise, notamment en matière de gestion de la liberté d’expression.

Ces départs massifs inédits font émerger des questions sur le poids des collaborateurs au sein des entreprises, notamment dans un marché de la tech sous tension et où les opportunités ne manquent pas : quel est le rôle des salariés dans la gouvernance de ce type d’entreprise ? Quelle responsabilité ont les boards dans les décisions opérationnelles ?

Ces exemples récents reflètent une tendance actuelle où les salariés, notamment dans la tech, ont de plus en plus de poids dans les décisions stratégiques et visent à influencer ou à répondre aux décisions de la direction. Si une entreprise peut perdre 90% de ses salariés suite à une décision du conseil d’administration, ce dernier doit nécessairement réfléchir à comment mieux intégrer la voix des collaborateurs dans sa réflexion.

L’éventail des modes de gouvernance apparaît aujourd’hui comme pléthorique : du modèle participatif des coopératives où les salariés jouent un rôle actif dans la prise de décision à l’entreprise détenue intégralement par un fond qui est soumise à une injonction de rentabilité, en passant par le modèle de répartition familiale où la continuité de la direction apparaît comme une préoccupation majeure ou encore l’auto-organisation qui prône des équipes autonomes et un système de prise de décision décentralisée.

En parallèle, le rôle des salariés dans la prise de décision de leur entreprise a fait l’objet d’une réflexion depuis de nombreuses années et varie considérablement d’un pays à l’autre. En Europe, si l’Allemagne est connue pour son modèle de "Mitbestimmung" ou « Cogestion » dans lequel les travailleurs élisent des représentants au conseil de surveillance, la France a, pour sa part, rendu obligatoire l’instauration de Comités Sociaux et Économiques (CSE) dans les entreprises de plus de 11 salariés. Au Japon, la mise en place d’une approche culturelle unique dans la prise de décision en entreprise, connue sous le nom de "Nemawashi", permet de prendre les décisions par consensus après de nombreuses discussions informelles entre les salariés à tous les niveaux. Même dans les pays peu propices à la syndicalisation comme les Etats-Unis, des comités de travailleurs peuvent lancer des initiatives de gestion participative.

Les déboires d’Open AI et des autres entreprises de la Tech interrogent cependant : sommes-nous à l’aune de l’émergence d’un nouveau modèle avec des solidarités dans les entreprises qui émergent ? Une chose est sûre, les exemples du genre sont nombreux et variés :

  • Dès 1929, John Lewis Partnership, groupe britannique de grands magasins et de supermarchés, a créé un environnement de travail collaboratif et inclusif. Le groupe appartient entièrement à ses employés, appelés "Partenaires" où chacun a un rôle actif dans les décisions de l'entreprise. Ils élisent des représentants au Conseil de Partenariat, qui a une influence sur la gestion et les politiques de l'entreprise. Les profits et les décisions sont ainsi partagés entre tous les employés.

  • Aux Etats-Unis, Gore-Tex a fait de tous ses employés des associés et a adopté une approche de subsidiarité très poussée, rare dans le monde des affaires. Ce modèle inclut par exemple l'élection interne des dirigeants, l'autogestion des horaires de travail et l'allocation de 10 % du temps de travail à des activités d'innovation

  • Le groupe espagnol Mondragon, qui regroupe près de 300 entreprises et plus de 80 000 collaborateurs, fait figure de modèle type de cogestion. Les employés, en tant que membres de la coopérative, participent aux décisions stratégiques et bénéficient d'une répartition équitable des bénéfices. Tous les quatre ans, c’est même la stratégie du groupe qui est approuvée par l’ensemble des collaborateurs

  • Plus récemment, Haier, le géant chinois de l’électroménager a adopté un modèle de gestion appelé "modèle de micro-entreprise" dans lequel chaque entité du groupe fonctionne comme une start-up indépendante avec une grande autonomie dans la prise de décision. Les micro-entreprises sont en charge du développement d’un produit de la conception à la commercialisation : en cas de succès l’équipe bénéficie des retombées économiques mais en cas d’échec elle peut être amenée à se réorienter voire se dissoudre.

  • Enfin, depuis 2012, le géant mondial du streaming musical Spotify a développé sa propre structure organisationnelle unique, appelée "modèle Spotify", qui est conçue pour faciliter l'agilité et l'autonomie au sein de ses équipes : l'organisation est divisée en "squads" et en "tribus" et des "guildes" permettent de connecter les personnes travaillant dans des domaines similaires ou ayant des compétences similaires. La collaboration est ainsi grandement encouragée pour faciliter le partage de connaissances et de compétences.

Dans un contexte où la recherche de sens et de vision devient un facteur d’engagement très fort chez de nombreux salariés, quel meilleur levier que la subsidiarité pour remettre les décisions au niveau des premiers concernés : les salariés. Les entreprises doivent donc nécessairement se poser la question de la refonte de leur circuit de prise de décision pour s’assurer de prendre en compte « the Voice of Employee » – la voix des collaborateurs – dans leurs réflexions stratégiques.

Mais comment et sous quelles conditions ? Ce type de réflexion n’est-il pertinent que pour un secteur de la Tech synonyme de marché en tension et de postes qualifiés pouvant se permettre un rebond professionnel rapide ou peut-il s’appliquer à l’ensemble des secteurs ? Une chose est sûre : dans un monde où les réseaux sociaux peuvent donner un écho considérable aux initiatives des collaborateurs, comme nous l’a montré la menace de démission massive chez Open AI, les « boards » n’ont pas fini de s’interroger sur leurs modes de gouvernance…

Rédacteur : 
Romain MEDINA, Senior Manager People & Culture

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